Alors que le régime
de base revient dans le vert, c'est au tour des retraites complémentaires
d'être sur la sellette.
C'est à n'y plus
rien comprendre. La branche vieillesse de la Sécurité sociale devrait repasser
dans le vert dès l'an prochain. Si on fait abstraction de la mauvaise posture
du Fonds de solidarité vieillesse, qui prend en charge les cotisations
retraites des chômeurs et le minimum vieillesse, dont le déficit devrait rester
l'an prochain de 3,7 milliards d'euros, comme en 2015. Mais les retraites
complémentaires obligatoires viennent gâcher la fête : les réserves de
l'Agirc (pour les cadres) et de l'Arrco (pour l'ensemble des salariés) fondent
comme neige au soleil. La survie même de ces deux régimes serait menacée à
court terme. D'où de nouvelles coupes décidées en octobre dernier par les
partenaires sociaux qui les gèrent.
Partir plus tard
Les régimes de
retraites complémentaires sont uniquement financés par les cotisations salariales
et patronales. Ils pâtissent donc logiquement de la situation économique :
plus le chômage augmente et moins il y a de cotisants pour financer les
retraités. L'Agirc, la
complémentaire des cadres, souffre en particulier d'un déséquilibre croissant
entre les rentrées de cotisations de cadres, dont le nombre et les salaires
augmentent désormais très lentement, et les prestations à verser à des
retraités devenus beaucoup plus nombreux ces dernières années du fait de
l'arrivée à l'âge de la retraite des baby-boomers embauchés comme cadres
dans les années 1960 et 1970. Mais contrairement au régime de base, les
régimes complémentaires, qui représentent 60 % du total de la pension des
cadres et 30 % de celle des ouvriers et employés, ont moins été réformés
jusqu'ici. La fusion des deux régimes Agirc et Arrco est désormais
envisagée par les partenaires sociaux à l'horizon 2019 (y compris par la
CFE-CGC qui, très attachée à la spécificité du régime des cadres, s'y est
finalement résolue). Ce qui devrait faciliter le rééquilibrage des comptes.
Pour réparer les
voies d'eau, le patronat et trois des cinq syndicats représentatifs à l'échelle
nationale, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, se sont accordés sur la mise en
place d'un mécanisme de bonus-malus prévu pour 2019 et basé sur la durée de
cotisation. L'âge "légal" du départ en retraite reste fixé à 62 ans,
mais il faudra avoir cotisé un an de plus que les 41,5 ans exigés par le régime
de base pour toucher sa retraite complémentaire à taux plein. Et si le futur
retraité choisit de partir quand même à 62 ans (avec ses 41,5 annuités de
cotisation), il subira une décote temporaire (pendant une période qui pourra
durer jusqu'à trois ans) de 10 % sur sa pension complémentaire. Ce qui
tend, de facto, à inciter les salariés à partir au minimum à 63 ans.
D'autant que celui qui acceptera de travailler plus longtemps encore que les
douze mois minimum au-delà de l'âge de départ normal requis bénéficiera, lui,
d'une surcote allant de 10 % à 30 % sur sa retraite complémentaire.
Un tiers des
retraités seront cependant épargnés par la réforme (les petites pensions, mais
pas les salariés qui ont eu une carrière longue). Cet accord entérine aussi une
perte de pouvoir d'achat avec une sous-indexation des pensions d'un point par
rapport à l'inflation et le décalage de six mois de leur revalorisation :
elle interviendra en novembre au lieu d'avril.
Hostiles à
l'accord, la CGT et FO auraient souhaité en particulier une hausse
significative des cotisations patronales. Les entreprises mettront certes
davantage la main à la poche, mais cet effort sera intégralement compensé par
l'Etat à travers une baisse de leur contribution à la branche accident du
travail-maladies professionnelles. Du côté du régime obligatoire de base, en
revanche, pas de nouveaux sacrifices de grande ampleur à l'ordre du jour.
Habitués au gel de leur pension depuis 2013, les retraités rempilent pour une
année supplémentaire de vache maigre. Certes, l'inflation quasi nulle ne
devrait pas trop affecter leur pouvoir d'achat, mais la pension de 13,5
millions de retraités, désormais revalorisée chaque 1er octobre, n'a progressé
cette année que de 0,1 %, soit quelques centimes de plus chaque mois. Et
le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) 2016 prévoit que la
revalorisation des prestations sociales se fasse désormais sur la base de
l'inflation effectivement constatée et non plus prévisionnelle. Cela devrait
certes représenter une économie substantielle pour les gestionnaires des
régimes de retraites, mais une mauvaise opération pour les assurés.
Un système en
équilibre
Le grignotage
progressif des retraites de base ou complémentaires tous les deux ou trois ans
peut donner le sentiment que le système de retraites par répartition est
condamné à terme. Pourtant cette idée est trompeuse. En réalité, pour Gérard
Cornilleau, économiste à l'OFCE et spécialiste des retraites, il n'y a plus
vraiment péril en la demeure : "Avec toutes les réformes des retraites qui ont déjà été
faites, on couvre entre 80 % et un peu plus de 100 % du besoin de
financement à venir, même en tenant compte du vieillissement de la population.
On est dans une situation de quasi-équilibre à long terme. Il n'y a donc pas de
raison de prendre de nouvelles mesures drastiques, ni d'inquiéter les populations,
en particulier les jeunes, qui pensent souvent, à tort, qu'ils n'auront pas de
retraite."
Après la
publication en 1991 du livre blanc de Michel Rocard sur les retraites, pas
moins de cinq réformes se sont succédé. Avec au total un report de l'âge légal
de départ en retraite de 60 à 62 ans, l'allongement de la durée de cotisation
de 37 à 43 ans, l'indexation des rémunérations sur les prix et non plus sur les
salaires, la prise en compte des 25 meilleures années de la carrière (au lieu
des 10 meilleures) pour le calcul des pensions des salariés du privé et,
parallèlement, un durcissement du régime des fonctionnaires et des régimes
spéciaux.
A l'échéance du
milieu du siècle, le choc du départ en retraite des baby-boomers sera
absorbé et "notre situation démographique nous distingue d'autres pays,
comme l'Allemagne, qui ont des difficultés bien plus importantes : chaque
année, il naît 800 000 Françaises et Français, contre un petit peu plus de 600
000 Allemandes et Allemands", conclut l'économiste de l'OFCE. Cette
situation démographique équilibrée et les sacrifices déjà consentis se
traduisent dans les prévisions de la Commission européenne : les dépenses
consacrées à la retraite devraient baisser à l'horizon 2060 pour représenter
12,1 % du produit intérieur brut (PIB), contre 14,9 % aujourd'hui. Et
la France est le pays d'Europe où ce ratio devrait diminuer le plus.
Des pensions en
baisse
Si l'équilibre
financier des retraites semble assuré à moyen terme, les retraités actuels - et
a fortiori les futurs pensionnés - commencent en revanche à ressentir
durement les conséquences de ces réformes. Le taux de remplacement (ratio entre
le dernier salaire perçu et le montant de la pension) est orienté à la baisse.
La dernière livraison du rapport sur les retraites et les retraités, publié par
les ministères des Finances, des Affaires sociales et du Travail, montre pour
la première fois une baisse du niveau moyen des retraites à l'âge de 66 ans en
2013.
Les retraites
privées à la peine
Les Français
sont souvent incités à se tourner vers l'épargne retraite privée pour compléter
les montants des retraites par répartition qui diminuent. Les fonds de pension n'existent pas stricto
sensu dans l'Hexagone, mais des produits financiers comme l'assurance-vie
(1 565 milliards d'euros d'encours, fin 2014) en font souvent office. Ainsi que
les produits d'épargne retraite individuelle ou collective d'entreprises, dont
les gouvernements successifs ont beaucoup favorisé le développement au cours
des dernières décennies : les "articles 83", les contrats
Madelin, les plans d'épargne retraite populaires (Perp), les plans d'épargne
retraite d'entreprise (Pére) ou encore les plans d'épargne retraite collectifs
(Perco)…
Il n'empêche,
l'épargne retraite ne représente encore que 5 % à peine du total des
cotisations retraites collectées, selon le Conseil d'orientation des retraites.
Même si les Perco ont connu une progression de 26 % entre 2013 et 2014,
leur encours se chiffrait à "seulement" 10 milliards d'euros, fin
2014.
Les banques,
assureurs et institutions de prévoyance, qui espèrent profiter de la baisse du
taux de remplacement (notamment pour les cadres), expliquent ce peu
d'engouement par un déficit de communication, un manque d'incitation fiscale et
une trop forte instabilité juridique.
Problème
supplémentaire : les taux d'intérêt, historiquement bas depuis plusieurs
années déjà, ne permettent plus d'assurer des rendements suffisants pour vivre
de ses rentes au cours de ses vieux jours. "Pour les assureurs, plus
les taux sont bas, plus il est leur difficile de garantir des rendements,
analyse Charles-Antoine Roger, spécialiste des retraites au sein du cabinet
Mercer. Et si les taux remontent brusquement, la valeur de leur portefeuille
pourrait s'effondrer."
Et ce n'est qu'un
début : selon la Commission européenne, le taux de remplacement pourrait
chuter de 51 % du dernier salaire en moyenne en 2013 à 39 % en 2060. "Cette
baisse du niveau relatif des pensions était prévue, organisée dès la réforme
Balladur de 1993. Personne n'a rien compris à cette mesure technique qui
semblait alors indolore, mais le fait de désindexer les pensions sur les
salaires pour les indexer sur l'inflation (qui croît moins vite que les
salaires) a, au fur et à mesure de l'écoulement des générations, fait chuter le
montant des pensions, au moment de leur liquidation. Cette baisse programmée
des pensions permet d'assurer 20 % des besoins en financement des
retraites. Les 80 % restants sont le fait du report de l'âge de départ à
62 ans", détaille Gérard Cornilleau.
Résultat : la
pauvreté risque de faire son retour chez les seniors. Aujourd'hui, c'est
souvent le patrimoine financier et immobilier des retraités, supérieur en
moyenne de 17 % à celui des actifs, qui fait la différence et permet que
leur niveau de vie soit comparable à celui des personnes d'âge actif. Mais il
n'est pas sûr, là aussi, que cette situation perdure, prévient le Conseil
d'orientation des retraites, notamment parce que les travailleurs actuels n'ont
plus les moyens de se constituer un tel matelas.
D'ores et déjà,
de plus en plus de retraités doivent travailler pour arrondir leurs fins de
mois : 452 000 personnes cumulaient un emploi et leur retraite en 2012,
contre 185 000 six ans plus tôt, pointe l'Insee. Malgré le durcissement des règles du
dispositif du cumul emploi-retraite (les retraités qui travaillent n'acquièrent
plus de nouveaux droits à la retraite), ils devraient continuer à être de plus
en plus nombreux. Pas étonnant en tout cas que le financement des retraites
arrive en tête des préoccupations des Français, devant la maladie (47 %
des personnes interrogées lors d'une enquête du Crédoc à la demande de Terra
Nova). Une proportion qui a doublé en vingt ans.
Sandrine Foulon
Alternatives Economiques n° 351 - novembre 2015
Alternatives Economiques n° 351 - novembre 2015
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