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vendredi 23 avril 2021

Autoroutes : Vinci et Eiffage ne connaissent (presque) pas la crise

Non seulement la pandémie Covid n’a pas tellement altéré les résultats des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), mais il apparaît aussi de plus en plus franchement que le protocole d'accord négocié avec les autoroutiers en 2015 leur est ultra-favorable. Explications.

 


 

La publication en ce début d’année des résultats financiers des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) des groupes Vinci (ASF, Cofiroute, Escota) et Eiffage (APRR, Area) – Sanef et SAPN (Abertis) ne les ayant pas encore présentés – montre que ces SCA s’en tirent plus que bien. Malgré deux confinements, avec une circulation routière quasi à l’arrêt durant le premier, et plus globalement l’impact du Covid sur l’économie, ce sont respectivement près d’1,35 milliard et 650 millions d’euros de dividendes que leurs actionnaires ont pu se partager l’an dernier, soit près de deux milliards d’euros en tout.

2020 ressemble peut-être pour beaucoup à « une année noire… mais pas pour les autoroutes ! », en conclut Vincent Delahaye, rapporteur de la dernière commission d’enquête au Sénat sur le sujet, et dont le rapport publié en septembre avait confirmé la rentabilité « hors normes » des SCA. Depuis, le sénateur (UDI) « ne lâche pas l’affaire », fait-il savoir lors d’une conférence de presse ce jeudi. Il a de nouveau mandaté Frédéric Fortin, l’expert indépendant qui avait fourni les projections financières à la commission, afin qu’il les réactualise.

Son verdict : si les dividendes finalement distribués sont inférieurs à ce qu’il avait prévu à un moment où l’on pouvait encore espérer que le plus gros de la crise Covid soit derrière nous, les chiffres d’affaires (6,7 Mds€) et les résultats nets (2Mds€), pour ce qui est toujours des SCA des groupes Vinci et Eiffage, sont supérieurs aux attentes. Et dans l’ensemble surtout, les grandes lignes qui s’étaient dégagées dans le rapport de septembre sont confirmées : le seuil de rentabilité prévue à la privatisation* des SCA en 2006 sera atteint bien avant la fin des contrats prévue entre 2033 et 2036.

Au lieu de l’estimer à 2022 pour ASF et 2021 pour APRR, soit avec 14 années d’avance, Frédéric Fortin, réactualisation faite, le prévoit plutôt pour 2023 dans les deux cas, ce qui ne change donc pas grand-chose à l’affaire. Ce sera « 13 ans avant la fin de la concession d’ASF », d'un côté, et « 12 ans avant la fin de la concession d’APRR », de l'autre… Preuve s’il en fallait qu’il existe dans ces contrats de concession un vrai déséquilibre financier, au détriment de l’État ! Et la dernière grande négociation à s’être tenue dans le domaine n’a rien arrangé ; elle l’a carrément aggravé.

Le beau cadeau de 2015 pour les autoroutiers

Selon les calculs de Frédéric Fortin, présentés ce jeudi, le protocole d’accord de 2015 est en effet loin d’être favorable aux intérêts de l’État, c'est surtout une « une bonne affaire » pour les SCA. Pour rappel, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, était en première ligne, avec la ministre de l’Environnement Ségolène Royal, sur la négociation de cet accord, qui, à titre principal, prévoit ce que l’on appelle le Plan de Relance Autoroutier (PRA), c’est-à-dire la réalisation de 3,27 milliards d’euros de travaux par les SCA, en plus de leur contribution à hauteur d’1,2 milliard d’euros au budget de l’AFITF**. En échange, celles-ci bénéficient d'une prolongation de leurs contrats de 2,5 années en moyenne.

Sauf que cet allongement de durée ne va pas seulement leur permettre de compenser strictement, comme c'est normalement la règle, ces 4,5 milliards d'euros mis au pot, révèle l’expert financier des sénateurs. Entre le calendrier des travaux qui n’est pas respecté depuis 2015, et surtout la prise en compte d’un taux d’actualisation bien trop avantageux aux SCA - de l’ordre de 7,7 % au moment des négociations alors qu’il aurait été plus juste et réaliste de le fixer à 3,5 % -, c’est un bonus de plus de quatre milliards d’euros que ce protocole d’accord de 2015 offre potentiellement aux SCA !

Le montant de cette surcompensation pourrait même être encore plus important. Vincent Delahaye s’est de nouveau plaint du « manque de transparence » sur le sujet. Certaines données, qui auraient pu permettre de réaliser plus finement cette estimation, font défaut. Ni le ministère des Transports, ni l’Autorité de Régulation des Transports (ART) n’ont pu – ou voulu – communiqué, par exemple, le calendrier des investissements réellement décaissés par les sociétés concessionnaires dans le cadre de ce PRA. Est-ce qu’en fonction des retards enregistrés, le gouvernement a-t-il en outre imposé des pénalités de retard, comme le contrat le lui permet ? Nul ne le sait…

Pour Vincent Delahaye, cette surcompensation de 4 milliards d’euros, ajoutée aux dividendes à venir – presque 30 Md€, selon les prévisions de Frédéric Fortin, entre 2024, une fois franchi le seuil de rentabilité négocié en 2006, et 2036 - donne à l'État « de belles marges de négociation avec les sociétés d’autoroutes ». Son idée est bien de partir de ce travail pour les contraindre à accepter de nouveaux investissements, sans compensation cette fois, juste pour effacer ce surplus et rééquilibrer les contrats. « Je ne pense pas que l’État puisse mieux faire, je ne suis donc pas contre les concessions en soi, ni favorable à la renationalisation de celles-ci », se justifie-t-il.

Deux juristes ont cependant soulevé d’autres hypothèses. Dans l'une de leurs études parues fin 2020, Jean-Baptiste Vila et Yann Wels rappellent l’illégalité de telles surcompensations, susceptibles d’être considérées comme des aides d’État. Ces surcompensations, ajoutées à d’autres dysfonctionnements repérés dans cette gestion autoroutière, pourraient aussi, à les lire, donner l'occasion à l'État de négocier la rupture anticipée des contrats, et ce, à moindre frais, en s'appuyant justement sur les sommes empochées de manière indue par les SCA.

L’organisation d’un grand « sommet des autoroutes », comme l’avait recommandé la commission d’enquête du Sénat dans son rapport de septembre, pourrait permettre de lister toutes ces hypothèses susceptibles d'être ainsi envisagées. « Cette proposition me paraît intéressante », a écrit le ministre délégué chargé des Transports à Vincent Delahaye, dans un courrier daté du 2 avril que Caradisiac a pu consulter. Mais Jean-Baptiste Djebbari se garde bien de fixer une date. Le jeudi 6 mai, il aura en tout cas à répondre aux sénateurs, lors d'un débat organisé sur les suites de la commission dans l'hémicycle. Vu toutes les questions soulevées ces derniers mois sur le sujet, le rendez-vous s'annonce des plus croustillants.

*hors Cofiroute, qui ne faisait pas partie des SCA dites historiques – ASF, Escota, APRR, Area, Sanef, SAPN – privatisées en 2006. ** Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF), chargé de coordonner le financement de grands projets d'infrastructures de transport.

sources : capital.fr

 

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