Instauré en 2017 par les ordonnances Macron, ce
dispositif, qui s’applique à un salarié qui aurait été licencié de manière
infondée, serait contraire à la convention de l’Organisation internationale du
travail.
Le débat sur la réforme du code du travail, qui fit
rage en 2017, vient de rebondir devant le conseil de prud’hommes de
Troyes. Dans cinq litiges, cette juridiction vient de juger contraire aux
engagements internationaux de la France une des mesures les plus importantes
adoptées l’an passé : le plafonnement des dommages-intérêts qu’un tribunal
accorde à un salarié victime d’un licenciement « sans cause réelle et
sérieuse ».
Une disposition très controversée à laquelle Emmanuel
Macron tient beaucoup : il l’avait inscrite dans son programme de campagne
après avoir – vainement – tenté de la mettre en place quand il était ministre
de l’économie, sous le quinquennat de François Hollande.
Les jugements rendus jeudi 13 décembre
constituent une première. L’un d’eux, que Le Monde a pu consulter, fait
suite à un différend entre un homme et l’ancienne entreprise où il travaillait.
Jean-Paul G. avait saisi les prud’hommes de Troyes, courant février,
quelques jours après avoir appris que son employeur voulait le congédier, en
raison de difficultés économiques.
Dans sa demande, le salarié avait – notamment –
exprimé le souhait que soit écarté le barème obligatoire instauré en 2017,
au motif que celui-ci ne respecte pas deux textes : la convention 158 de
l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne.
Celles-ci prévoient qu’une juridiction, en cas de licenciement infondé, doit
pouvoir ordonner le versement au salarié d’une « indemnité
adéquate » ou toute autre forme de réparation « appropriée ».
« Marge d’appréciation »
Les prud’hommes ont donné gain de cause à
Jean-Paul G. Pour eux, la réforme de 2017 a eu comme effet d’introduire « un
plafonnement limitatif des indemnités prud’homales [qui] ne permet pas
aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement
licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice
qu’ils ont subi ».
En outre, les montants maximaux fixés dans le barème « ne
permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient
licencier sans cause réelle et sérieuse » : ils « sécurisent
davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ».
Une précision importante : la décision de jeudi a été
rendue par une formation collégiale, composée de deux conseillers salariés et
de deux conseillers employeurs, ce qui signifie que l’un de ces derniers, au
moins, était favorable à l’analyse juridique développée dans le jugement.
« Elle me paraît très pertinente », commente Pascal Lokiec, professeur
à l’école de droit de la Sorbonne. A ses yeux, la réforme de 2017 a fixé
des niveaux d’indemnité minimaux et maximaux qui laissent très peu de « marge
d’appréciation » au juge dans certaines situations.
Exemple : pour une personne ayant deux ans
d’ancienneté, « la fourchette entre le plancher et le plafond est d’un
demi-mois de salaire » et d’un mois de salaire pour une personne
employée depuis trois ans dans l’entreprise : « Autant dire que la
faculté donnée au juge pour prendre en compte la situation individuelle du
salarié, mais aussi celle de l’entreprise, est infime. »
Autre problème soulevé par le plafonnement des
indemnités prud’homales : il offre la possibilité à une entreprise « de
connaître à l’avance, au centime près, le coût maximal d’un licenciement
injustifié, ce qui, pour moi, n’a pas sa place dans un Etat de droit »,
complète Pascal Lokiec.
Les conseillers prud’homaux de Troyes « ouvrent
la voie de la résistance des juges contre [une] réforme
inacceptable », a réagi le Syndicat des avocats de France (SAF), dans
un communiqué diffusé vendredi. Cette organisation entend poursuivre le combat
contre le barème, à l’occasion d’autres contentieux portés devant les
tribunaux.
« Préjudice subi »
Les décisions de jeudi peuvent-elles faire
jurisprudence ? « Je ne le pense pas », confie Me Amélie
d’Heilly, membre du bureau d’Avosial – un syndicat d’avocats d’entreprises.
D’abord, s’agissant du cas de Jean-Paul G., l’affaire
s’avère très singulière : l’employeur était absent à l’audience,
souligne-t-elle, et les juges ont voulu punir son comportement de « voyou »
(mise à l’écart du salarié, non-versement de sa paye…). Surtout, ajoute Me
d’Heilly, plusieurs pays ont mis en place un barème analogue à celui de
la France, tout en étant signataires de la convention de l’OIT, et ils n’ont
pas pour autant été sommés de renoncer à un tel dispositif. Enfin,
contrairement aux textes de l’OIT, la Charte sociale européenne n’est
pas« d’application directe entre particuliers » dans l’Hexagone et ne
pouvait donc être valablement invoquée par Jean-Paul G. dans sa requête.
Dans une autre affaire opposant un salarié à son
patron, le conseil de prud’hommes du Mans avait, lui aussi, été invité à
se pencher sur la conformité du barème aux conventions internationales. Sa
réponse, en septembre, avait été rigoureusement inverse à celle des prud’hommes
de Troyes : oui, avait-il conclu, les plafonds posés en 2017 par le
législateur respectent la convention de l’OIT.
« Il appartient toujours au juge (…) de prendre en compte tous
les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié »,
avaient écrit les conseillers prud’homaux du Mans, en citant notamment « l’âge
et les difficultés à retrouver un emploi ».
Au ministère du travail, on fait valoir que les
arguments soulevés par le conseil de Jean-Paul G. avaient déjà été
examinés, fin 2017, par le Conseil d’Etat, dans un autre dossier, en référé, et
qu’ils avaient été rejetés par la haute juridiction. La décision prononcée à
Troyes fait fi de ces éléments et pose à nouveau « la question de la
formation juridique des conseillers prud’homaux », affirme-t-on au
ministère du travail.
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